Les désolations.

{{86.}} Le Seigneur en personne dit que Satan est tombé du ciel comme un éclair ( cf. Lc 10, 18 ), pour que cet être hideux ne pût même jeter un regard sur le séjour des saints anges. Comment donc celui qui n’est pas jugé digne de la société des bons serviteurs peut-il partager avec Dieu le domicile de l’esprit humain ? Mais, diront-ils, cela se produit quand Dieu se retire. Ils n’en seront pas plus avancés. En effet, la désolation éducative ne prive aucunement l’âme de la lumière divine, mais seulement, comme je l’ai déjà dit, la grâce, le plus souvent, cache à l’intellect sa présence, afin d’exciter l’homme, devant l’âpreté du démon, à rechercher en toute crainte et dans une profonde humilité le secours de Dieu, en apprenant peu à peu à reconnaître la malice de son ennemi. C’est comme une mère qui, voyant son petit enfant regimber contre ce qui a été réglé pour son allaitement, le repousserait quelque temps loin de ses bras, pour qu’effrayé par des hommes qui l’entourent avec un air rébarbatif ou par des bêtes quelconques, il retourne avec une grande frayeur et des larmes se blottir dans le sein maternel. Mais la désolation qui arrive quand Dieu se détourne livre aux démons, comme une prisonnière, l’âme qui refuse de posséder Dieu. Mais nous, nous ne sommes pas fils de déréliction, à Dieu ne plaise ! Nous croyons être les enfants légitimes de la grâce de Dieu, qui nous allaite parmi de petites désolations et de fréquentes consolations, afin que par sa bonté nous nous hâtions d’arriver à l’état d’homme fait, à la plénitude de l’âge ( cf. Eph 4, 13 ).

{{87.}} La désolation éducative apporte à l’âme beaucoup de chagrin, d’humiliation, et aussi un juste désespoir, pour que sa vanité et son exaltation rentrent comme il convient dans l’humilité ; mais aussitôt elle lui amène la crainte de Dieu, les larmes de l’aveu et un grand désir du beau silence. Mais celle qui se produit quand Dieu se détourne laisse l’âme se remplir à la fois de désespoir, de doute, de colère et d’orgueil. Il faut donc que nous connaissions l’expérience des deux désolations pour aller à Dieu avec les dispositions qui conviennent à chacune d’elles. Dans le premier cas nous devons lui apporter, avec nos excuses, nos actions de grâces pour vouloir bien châtier l’intempérance de notre volonté en suspendant ses consolations, afin de nous enseigner, comme un bon père, la différence de la vertu et du vice ; dans le second il faut mettre en œuvre une incessante confession de nos péchés, des larmes sans trêve, une plus grande solitude, afin de pouvoir, par ce supplément de travaux, fléchir enfin Dieu pour qu’il regarde comme auparavant nos cœurs. Mais il faut savoir que si la bataille prend la forme d’une rencontre réelle entre l’âme et Satan, j’entends dans le cas de la désolation éducative, la grâce, comme je l’ai déjà dit, s’efface, mais elle soutient l’âme d’un secours imperceptible, pour faire paraître aux ennemis de l’âme que la victoire est son fait à elle seule.