Sidersky: Adam

D. Sidersky, Les origines des légendes mulsumanes dans le Coran et dans la vie des Prophètes. Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1933

LA CRÉATION DE L’HOMME

L’histoire biblique de la création du père du genre humain et de son séjour au Paradis est relatée dans le Coran dans les termes suivants :

Sourate II. — 28. Et lorsque ton Seigneur dit aux anges : « Je vais établir un vicaire sur la terre », ils dirent : « Y établiras-tu quelqu’un qui y fera le mal et qui répandra le sang, pendant que nous célébrons Tes louanges en Te glorifiant et que nous proclamons Ta sainteté ? » (Le Seigneur dit) : « Je sais ce que vous ne savez pas ».

29. — Il apprit à Adam les noms de tous les êtres ; puis Il les présenta aux anges et dit : « Appelez-les-Moi par leurs noms, si vous êtes véridiques ».

30. — Ils dirent : « Gloire à Toi ! Il n’y a pas en nous de savoir si ce n’est ce que Tu nous a appris. En vérité ! Tu es le Savant, le Sage ! »

31. — (Allah) dit : « O Adam ! Fais-leur connaître leurs noms ». Et lorsqu’il leur eut fait connaître leurs noms, Il dit : « Ne vous ai-je pas dit que Je connais les secrets des cieux et de la terre, et que je connais ce que vous montrez et ce que vous cachez ? »

Sourate VII. — 10. Et nous vous créâmes ensuite. Nous vous donnâmes votre forme. Alors nous dîmes aux Anges: « Prosternez-vous devant Adam. » Et ils se prosternèrent, excepté Iblîs, qui n’était pas de ceux qui se prosternent.

11. — Dieu dit : « Qu’est-ce qui t’empêche de te prosterner, lorsque Je te l’ordonne ? » Iblîs répondit : « Je suis meilleur que Lui. Tu m’as créé de feu, et Tu l’as créé de limon ».

12. — Dieu dit: « Va-t’en d’ici! Qu’as-tu à t’enorgueillir ici ? Sors ! En vérité, tu es du nombre des méprisés. »

15. — Iblîs dit : « Et parce que Tu m’as induit en erreur, je les guetterai sur Ton sentier droit.

16. — Puis je viendrai sûrement sur eux par devant et par derrière, à leur droite et à leur gauche, et Tu n’en trouveras pas de reconnaissants ».

17. — Dieu dit : « Sors d’ici, méprisé et chassé ! Et quant à celui d’entre eux qui te suivra. Je remplirai sûrement l’Enfer de vous tous. »

Sourate XX. — 115. Nous dîmes (alors) : O Adam ! en vérité celui-ci est un ennemi pour toi et pour ton épouse. Qu’il ne vous chasse pas du Paradis, sinon vous serez réduits à la misère.

La Chronique de Tahari (édition Zotenberg, t. I, Paris, 1867, pp. 72-94) et Mohammed ben’Abdallah al-Kissaï, dans sa Vitae Prophetarum (texte arabe édité par Dr Isaac Eisenberg, in-8°, Leyde, 1922-23), pp. 23, etc.), racontent l’histoire d’Adam, en s’inspirant des commentaires du Coran, et en y ajoutant certains détails dont nous allons rechercher l’origine.

Tabari dit que Dieu forma le corps d’Adam avec de l’argile ramassée dans différentes régions de la terre, et que la grandeur du corps était telle qu’il allait de l’Orient à l’Occident. Al-Kissaï ajoute que lorsque Dieu insuffla l’âme dans le corps d’Adam, ce dernier se dressa debout sur ses pieds et que sa tête atteignit le premier des sept cieux.

Ces détails sont d’origine aggadique. — Dans le Talmud babylonien (Sanhédrin, 38b) nous lisons :

« Le corps d’Adam fut formé d’argile prise en Babylone, « la tête, « avec de l’argile palestinienne; et les autres membres, avec l’argile « ramassée dans différents pays ».

Voici maintenant un passage midraschique (Genèse-Rabbah, VIII, 2)

« Lorsque Dieu créa Adam il fit d’abord un corps inerte, couché « par terre d’un bout du monde à l’autre bout ». Et un peu plus « loin (Ibid., XIV, 10)

« Il a placé debout le corps inerte d’Adam qui allait du sol jusqu’au « firmament, et il y insuffla l’âme ».

La conversation entre Dieu et les anges, relatée dans le texte coranique (II, 28-31), est tirée d’un passage rabbinique signalé par le Dr Geiger, Was hat Mohamed aus dem Judenthume aufgenommen ? (2e éd., Leipzig, 1902, p. 97), où l’on trouvera le texte hébreu avec sa traduction [[Dans cet ouvrage si intéressant, il y a, malheureusement, de nombreuses erreurs dans les références rabbiniques, reproduites dans la seconde édition soi-disant revisée. Quelquefois, les textes aggadiques y sont reproduits sans aucune indication de sources.]]. Le texte original se trouve dans le Midrasch Nombres-Rabbah (XIX, 3), et en partie également dans Genèse Rabbah (VIII, 3-5), et dans le Talmud Babylonien (Sanhédrin, 38b).

Geiger (l. c, p. 98) cite également un autre passage aggadique (Genèse-Rabbah, VIII, 9) d’où le Coran a tiré sans doute le fait que les Anges adoraient Adam. Ce savant fait remarquer que l’adoration de l’homme est une idée essentiellement chrétienne, et que le second texte midraschique cité par lui démontre précisément le contraire [[Cf. M. Grünbaum, Beiträge zur vergleichenden Mythologie aus der Haggada (Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Geselleschaft, t. XXXI, 1871, p. 233) signalant un autre texte midraschique concordant avec le Coran.]]. Mais Tabari (l. c, p. 77) fait remarquer que le terme « adorer » veut dire ici honorer la grandeur, témoigner du respect pour quelqu’un ; tandis que Vadoration vraie appartient à Dieu seulement.

LE PARADIS

On lit dans le Coran :

Sourate XLVII. — 16. Voici le tableau du Paradis qui est promis aux hommes pieux : là il y aura des ruisseaux, dont l’eau sera incorruptible, et des ruisseaux de lait, dont le goût ne changera pas, et des ruisseaux de vin, délices de ceux qui boivent ;

17. —Et des ruisseaux de miel limpide ; et là il y aura toutes sortes de fruits, et le pardon de leur Seigneur !

Sourate LXXVI. — 12. Et pour récompense de leur patience, Il leur donnera le Paradis et des vêtements de soie :

13. — Là, reposant sur des lits d’apparat, ils n’éprouveront ni la chaleur du soleil, ni froid glacial.

14. — Et tout près, au-dessus d’eux, il y aura ses ombrages, et ses fruits s’abaisseront très bas, pour être facilement cueillis.

15. — Et ils seront servis à la ronde avec des vaisseaux d’argent et de grandes coupes comme des grosses bouteilles.

16. — De grosses bouteilles d’argent, qu’ils rempliront jusqu’au bord.

17. — Ils y boiront d’une coupe remplie d’un mélange au gingembre.

18. — Ils y trouveront une source nommée Salsabîl.

19. — Et là circuleront autour d’eux des enfants à l’éternelle jeunesse ; quand tu les verras, tu penseras que ce sont des perles défilées.

20. — Et si tu les vois, alors tu verras un séjour de délices et un grand royaume !

21. — Ils auront sur eux des vêtements de satin vert et de brocart ; et ils auront comme parures des bracelets d’argent. Et leur Seigneur leur donnera à boire une boisson pure !

Sourate LV. —54. Ils se reposeront sur des lits dont les étoffes seront de brocart ; et les fruits des deux jardins seront faciles à cueillir,

Et dans un autre passage :

Sourate LVI. — 11. Ce sont ceux qui seront le plus près.

12. — Dans les jardins des délices.

13. — (Il y aura) un grand nombre de premiers.

14. — Et un petit nombre des autres.

15- — Sur des lits aux étoffes artistement arrangées.

16. — Ils y reposeront, les uns en face des autres.

17. — Autour d’eux des éphèbes toujours jeunes.

18. — Avec des coupes, des aiguières et des verres de boisson limpide.

19. — Ils n’auront pas mal à la tête à cause d’elle et ne seront point ivres.

20. — (Ils auront) encore les fruits de leur choix.

21. — Et la chair des oiseaux qu’ils désirent.

C’est à une source aggadique que Mahomet a emprunté le tableau général du paradis, dans lequel il a ajouté quelques détails secondaires pour l’adapter à la mentalité arabe.

Le texte hébreu suivant se trouve dans un petit Midrasch intitulé ycs p -no (Description du jardin de l’Eden) attribué à R. Josué-fils de Lévi, publié par A. Jellineck dans son recueil Beth Hamidrasch, t. II, pp. 52-53). Il se trouve également dans le Yalkout Siméoni (Pentateuque, XX) avec la mention du nom de son auteur.

« Il y a au paradis deux portes d’escarboucle gardées par six cent mille anges de service, dont la face rayonne comme le firmament. A l’entrée d’un juste, ils le revêtissent d’habits d’honneur « et placent sur sa tête une couronne d’or pur, garnie de pierres précieuses et de perles fines. C’est par des formules de glorification qu’ils l’introduisent dans un parterre bien arrosé, planté de huit cents espèces de roses et de myrthes. Pour chacun des élus, il y a un dais dressé selon son rang, d’où partent quatre ruisseaux coulant du lait, du vin, du miel et d’un liquide balsamifère »… Soixante anges se placent devant chacun des justes, lui disant : « Va goûter les délices du miel et boire le vin exprimé des raisins conservés depuis la création du monde »… Dans les différents coins du paradis, il y a huit cent mille arbres variés, dont le moindre est supérieur en qualité aux meilleures plantes odorantes. Dans chaque coin du paradis se tiennent six cent mille anges qui chantent en chœur ; au milieu se trouve l’arbre de la vie dont le feuillage recouvre tout le jardin de l’Eden. »

LA QUALITÉ DE PROPHÈTE

La Chronique de Tabari (l. c, t. I, p. 93) rapporte au nom de Mahomet, « qu’il y a eu sur la terre cent vingt-quatre mille prophètes, dont cent treize seulement ont été revêtus du caractère d’apôtre. Le premier fut Adam, et le dernier Mahomet lui-même. »

Ce qui a pu donner à Mahomet l’idée d’attribuer à Adam la qualité de prophète est peut-être le passage talmudique suivant : (Eroubin, 38″) :

« Adam fut un grand saint. »

Il y a aussi le passage midraschique (Genèse-Rabbah, XXIV, 5)

« Adam aurait été digne pour que la Torah soit révélée (au peuple d’Israël) par son intermédiaire. ».

LA CHUTE DE L’HOMME

Dans le récit biblique, c’est le serpent qui fut le tentateur qui a incité Ève à manger le fruit défendu. Dans le Coran, le serpent est ignoré totalement. Le tentateur, c’est Satan (Eblis), qui fut jaloux du bonheur d’Adam et d’Eve. Mais Tabari et Al-Kissaï expliquent que c’est le serpent qui aurait facilité l’entrée de Satan au Paradis. Voici le texte coranique :

Sourate VII. — 18. Et toi, ô Adam ! habite, toi et ton épouse, le Paradis ; et mangez de ses fruits partout où vous voudrez ; mais ne vous approchez pas de cet arbre ; car vous seriez du nombre des injustes.

19. — Mais Satan leur suggéra de ne pas pouvoir se regarder l’un l’autre à ce qui leur était resté caché jusqu’alors de leur nudité.

Et il dit : « Votre Seigneur ne vous a interdit cet arbre, que pour que vous ne soyez pas changés en deux Anges et que vous ne deveniez pas immortels. »

20. — Et il leur jura à tous les deux : « En vérité, je suis pour vous un bon conseiller. »

2i- — Et il les engagea dans l’erreur par aveuglement, et lorsqu’ils eurent goûté des fruits de l’arbre, leur nudité leur apparut, et ils commencèrent à coudre sur eux des feuilles du jardin. Et leur Seigneur les appela : « Ne vous avais-je pas défendu cet arbre, et ne vous ai-je pas dit : En vérité, Satan est pour vous un ennemi déclaré? »

22. — Ils dirent : « O notre Seigneur! nous nous sommes fait du mal à nous-mêmes ; et, si Tu ne nous pardonnes pas, et si Tu n’as pas pitié de nous, nous serons sûrement des perdus. »

Sourate XX. — 120. Puis, son Seigneur le choisit. Il revint à lui et le guida (dans la voie droite). »

121. — Il dit (à Adam et à son épouse) : « Descendez-en tous deux ensemble, les uns ennemis des autres. C’est de moi que vous viendra la direction. »

La jalousie du serpent tentateur est signalée dans le Talmud (Sanhédrin, 59b)dans les termes suivants :

« Adam était installé au Paradis, et des anges lui rôtissaient de « la viande et rafraîchissaient du vin. En le regardant et envoyant « tous les honneurs qui lui étaient rendus, le serpent devint très « jaloux de l’homme. »

L’association de Satan avec le serpent pour préparer la chute de l’homme est relatée dans les Pirké de R. Eliézer (chapitre XIII) et dans le Midrasch Hagadol (édition Schechter, III, 1, pp. 86-87) dans les termes suivants :

« Samaêl (Satan) était un grand dignitaire dans les cieux… Il « n’a pas trouvé de plus rusé que le serpent pour faire du mal ; il « monta à cheval sur lui pour aller séduire Adam. »

Tabari (l. c., t. L, p. 79) et Al-Kissaï (édition Eisenberg, Le., p. 36) mentionnent tous les deux le très curieux détail suivant :

Dieu avait maudit Éblis (Satan) à cause d’Adam. Lorsque Adam fut dans le Paradis, Éblis chercha un moyen d’y entrer aussi par la ruse, de tromper Adam et de l’égarer. La crainte de Ridhwan, portier du Paradis, l’empêcha d’y entrer. Éblis demanda au serpent de le faire entrer secrètement dans le Paradis. Le serpent ouvrit la bouche, Éblis y entra, et le serpent le porta dans le Paradis et le mit en présence d’Adam.

Cette légende est d’origine chrétienne. Elle est mentionnée dans un livre apocryphe intitulé Les miracles de Jésus, édité récemment par M. Sylvain Grébaut, Patrologia Orientalis, t. XII, fascicule 4, p. 569. Voici ce passage :

« Lorsque Satan eut vu la royauté et la grâce que le Seigneur avait données à Adam, il le jalousa d’une grande jalousie. Le « serpent était le plus rusé de tous les animaux. Satan vint vers lui et lui demanda de lui permettre d’entrer en lui, afin de séduire Adam. Le serpent lui répondit et lui dit : Fais ce que tu veux. Satan entra en lui. Le serpent lui servit de maison et le conduisit au Paradis. »

APRÈS LA SORTIE DU PARADIS

D’après Tabari (l. c, t. I, p. 84), Adam fut jeté dans l’Hindoustan, sur la Montagne de Serândib. Lorsqu’il se tenait sur le haut de la montagne, la hauteur de sa stature lui faisait atteindre le premier ciel avec sa tête. Au commencement, Adam s’entretenait avec les anges du ciel. Dieu envoya ensuite Gabriel, qui passa son aile sur la tête d’Adam, et la stature de celui-ci fut réduite à soixante coudées.

Cette légende se trouve dans le Talmud (Haguiga, 12a) dans ces termes :

« La stature du premier homme allait du sol au ciel ; après « son péché, Dieu passa sa main sur la tète d’Adam et diminua sa « taille, en la ramenant à cent coudées. »

LE PARLER DES ANIMAUX

Les chroniqueurs musulmans racontent que lorsque Adam sortit du Paradis l’ange Gabriel lui remit des grains de blé, des instruments aratoires et une paire de bœufs de labour, et lui apprit à préparer la terre, à semer et à récolter le blé, à moudre les grains et à pétrir et cuire le pain.

Al-Kissaï (l.c, p. 53) relate le détail suivant :

Un jour en labourant la terre, les bœufs s’arrêtèrent sans vouloir continuer, et Adam frappa les animaux pour les corriger. Les bœufs s’écrièrent : Pourquoi tu nous frappes ? Parce que vous avez désobéi à mon commandement, répondit Adam. Et lorsque tu avais désobéi au commandement de Dieu, t’a-t-il frappé de la sorte ? reprirent les animaux. Adam tomba alors par terre et dit à Dieu : puisque tu m’as gracié, en effaçant mon péché, permettras-tu désormais à tout animal de me le rappeler ? A partir de ce moment, Dieu enleva aux animaux la faculté de parler, qu’il réserva exclusivement au genre humain.

Cette légende est tirée de l’un des Pseudépigraphes de l’Ancien Testament, le Livre des Jubilés (III, 42). Il y est dit qu’en sortant du Paradis, Adam offrit des sacrifices à Dieu.

En ce jour fut fermée la bouche de toutes les bêles de la terre, des animaux domestiques, des oiseaux du ciel, des quadrupèdes, des rampants, afin qu’ils ne puissent plus parler ; car auparavant, ils parlèrent tous ensemble le même langage.

CAÏEN ET ABEL

Le récit biblique des deux fils d’Adam (Genèse, IV, 3-16) est relaté dans le Coran sous une forme un peu différente, dans les termes suivants :

Sourate V. — 30. Récite-leur l’histoire des deux fils d’Adam. Vraiment, lorsqu’ils offrirent une offrande, elle fut acceptée de l’un d’eux et ne fut pas acceptée de l’autre [[C’est l’histoire de Caïn et d’Abel. Les mahométans appellent le premier Quabil, et le dernier Habit, mais ces deux noms ne se trouvent nulle part dans le Coran ; c’est la tradition qui y supplée. (K.)]]. (L’un) dit : « Certainement, je le tuerai ». (L’autre) dit : « Dieu n’accepte que de ceux qui (Le) craignent. »

31. — Si tu étendais vers moi ta main pour me tuer, moi, je n’étendrais pas ma main pour te tuer. En vérité, je crains Dieu le Seigneur des mondes.

32. — En vérité, je désire que tu emportes mon péché et le tien, et que tu sois (du nombre) des compagnons du feu, car c’est là la récompense des injustes [[Abel veut dire à Caïn : Puisses-tu aller en enfer avec mes péchés et les tiens. (M.)]].

33. — (Mais) sa passion le poussa à tuer son frère et il le tua, et au matin il fut (du nombre) des perdus.

34. — Et Dieu envoya un corbeau (qui se mit à) gratter dans la terre, pour lui montrer comment (il pourrait) cacher le cadavre de son frère. Il (Caïn) dit : « Oh ! Malheur à moi ! Suis-je devenu trop faible pour être comme ce corbeau [[Un corbeau, disent les commentateurs, en avait tué un autre et l’enterra en grattant la terre. (K.)]] et cacher le cadavre de mon frère ? » Et, le matin, il fut (du nombre) des repentants.

La Chronique de Tabari (éd. Zotenberg, t. I, p. 89) ajoute le curieux détail qui suit, expliquant l’origine de la querelle entre Caïn et Abel :

« Adam voulut donner pour femme à Abel la sœur jumelle de Caïn, mais Caïn ne fut pas satisfait de cela. Adam lui dit ainsi qu’à Abel : Allez, et offrez un sacrifice; celui dont Dieu acceptera le sacrifice, moi je lui donnerai cette jeune fille. Or, Abel était berger, et Caïn était laboureur, Abel s’en alla, prit la plus grosse de ses brebis et l’apporta sur le lieu où il devait la sacrifier. Caïn apporta une gerbe de blé, la plus mauvaise qu’il eût, et la plaça sur le lieu du sacrifice. »

Il se peut que l’histoire de la jeune fille soit le fruit de l’imagination arabe, mais les faits signalés par Tabari que c’est Adam qui avait engagé ses fils à offrir des sacrifices à Dieu, que Caïn ait choisi ce qu’il avait de plus mauvais, tandis qu’Abel prit ce ce qu’il avait de mieux, sont tirés d’une légende midraschique rapportée dans le Yalkout Siméoni (XXXV) dans les termes suivants :

« Ce fut le soir de la fête de Pâque. Adam appela ses enfants en leur disant : Ce soir les enfants d’Israël offriront plus tard chacun un sacrifice pascal : Vous deviez offrir aussi des sacrifices « au Créateur. Caïn choisit des graines de qualité inférieure, mais Abel apporta le meilleur de son bétail, des brebis non tondues. »

Le verset 30 de la Ve Sourate est tiré du texte biblique (Genèse, IV, 4-5), tandis que l’entretien entre les deux frères (versets 31-32 de ladite Sourate) est relaté dans des termes quelque peu différents dans la paraphase araméenne Targaum Jéruschalmi du passage biblique cité. Quant à l’exemple du Corbeau creusant la terre, dont s’est inspiré Caïn pour enterrer le cadavre d’Abel (verset 34 de la Sourate), il est tiré du passage suivant du Midrasch Tanhurna (Beresit, 10) :

Lorsque Caïn tua Abel, ce dernier était resté couché par terre et Caïn ne savait comment faire. Dieu y fit passer deux oiseaux se bataillant; l’un tua l’autre, puis, creusa avec ses pattes un trou dans le sol et y enterra le mort. S’inspirant de cet exemple, Caïn creusa dans la terre et y ensevelit Abel [[Ignorant ce texte rabbinique, le Dr Geiger (Was hat Mahomed, 2e éd., Leipzig, 1902, p. 101) a indiqué comme source du récit coranique un passage de Pirké de R. Elieser (chap. XXI), attribuant à Adam l’enterrement de son fils Abel, en imitant l’exemple donné par un corbeau. M. Saint-Clair Tisdall, dans son livre The Original sources of the Quran (London, 1905, pp. 63-64), s’appuyant sur Geiger, explique la divergence entre le Midrasch et le Coran comme une erreur commise par Mahomet ou par son instructeur juif. — Cependant le texte du Midrasch Tanhurna cité plus haut s’accorde bien plus avec le récit du Coran.]].

Quant au fait mentionné par Mahomet à la fin du passage coranique reproduit plus haut, que Caïn s’était repenti, il est tiré d’un autre passage du même Midrasch Tanhurna (Beresit, 9), disant :

« En ce moment ses yeux (à Caïn) coulèrent des larmes, et « il s’écria (Psaumes, CXXXIX, 7) : Où, irai-je loin de ton esprit ? « Où fuirai-je loin de ta face ? »

ADAM ET DAVID

Tabari (l. c, pp. 91-92) et Al-Kissaï (l. c, p. 74) rapportent la légende suivante :

Dieu fit passer devant les yeux d’Adam un tableau indiquant toute sa postérité future, tous les prophètes et autres personnalités de marque, avec tous les événements accompagnant la vie de chacun d’eux. Lorsque Adam vit le nom du roi David, auquel furent assignées seulement trente années de vie, il eut pitié de lui. Il demande à Dieu, combien d’années il doit vivre lui-même. Dieu lui fit connaître qu’il atteindra mille ans. Adam demanda alors : Ne puis-je faire cadeau au roi David de quarante années de ma vie ? Certainement, lui répondit Dieu, mais il faudra le faire par écrit, la mémoire de l’homme n’étant pas infaillible. On dressa alors un acte de donation portant la signature d’Adam et qui fut contresigné par Gabriel et Michaël en qualité de témoins.

Plus tard, lorsque Adam atteignit l’âge de neuf cent soixante ans, l’ange de la Mort vint chercher son âme. Adam protesta, disant que son heure n’avait pas encore sonné, qu’il devra atteindre mille ans. — N’as-tu pas cédé quarante ans au roi David ? lui répliqua l’ange de la Mort, en lui montrant l’acte de donation signé par lui en présence de deux témoins, et qu’Adam avait totalement oublié.

Une légende semblable est relatée dans un texte aggadique conservé dans le Yalkotit Siméoni (Pentateuque, XLI), lequel s’exprime dans ces termes :

« Voici le livre des générations d’Adam (Genèse, V, 1). — Dieu fit passer devant Adam toutes ses futures générations. Il lui montra le roi David qui ne devait vivre que quelques heures. Adam demanda : N’y a-t-il aucun remède à cette situation ? — Ceci fut ma première idée, répondit Dieu. — Combien d’années ai-je moi à vivre ? — Mille ans. — Peut-on faire des donations au Ciel ? — Certainement. — Je donne soixante-dix ans de ma vie au bénéfice de celui-ci. — Que fit Adam ? Il apporta un acte, rédigea une formule de donation, que signèrent Dieu, l’ange Métatron et Adam. »